Apprendre à lire
Auteurice : Elsa Van Kote
Temps de lecture : ~6 minutes
Pourquoi nous l’avons fait ?
Une réunion sur l’IA à Mulhouse à laquelle je dois assister ce vendredi m’a fait me poser des questions. Quelle place doit prendre l’IA, et comment aborder la question d’un point de vue général ?
Contexte et soupçons
Autant la première réunion semblait avoir porté ses fruits et mis l’IA à sa place, c’est à dire comme un enième outil mis de la palette du numérique mis à disposition de la recherche (la réflexion s’était plutôt portée sur “en quoi le numérique modifie t’il le rapport à la recherche et comment l’utiliser à nos fins dans nos projets respectifs”). Autant l’annonce de l’ouverture d’un poste “IA et outils numériques” à l’UHA, m’a interrogée. Bien que je trouve cette nouvelle très réjouissante car les SHS à l’UHA auront enfin un poste de soutien technique, c’est cependant l’intitulé du poste qui me questionne. Pourquoi avoir mis l’IA en avant de tous les autres outils techniques (web, base de données, programmation, data etc. ) ? Cela pourrait renvoyer l’idée d’une volonté de s’intégrer dans la branche “tech geek en vogue” ? Dans ce cas là, en terme de priorité, pourquoi ne pas avoir créé un poste “formation numérique” ou “numérique de demain” où se coitoieraient IA, numérique, et développement durable ? Car selon moi nous manquons avec l’intitulé de ce poste la question clé qui se posera bientôt aux universités : comment faire de la recherche dans un monde où l’abondance (énergétiques, matérielle) est terminée ?
Il serait à mon sens très intéressant de promouvoir un poste axé sur la formation, la sensibilisation au numérique dans tous les domaines de recherche de l’Université. Bien sûr on pourra me dire que ces questions seront abordées dans le poste, et que ce seront des compétences recherchées par les recruteurs. Malheureusement j’ai bien peur que cet intitulé de poste attire des membres de la branche geek qui se seront dotés de quelques “mots clés écologiques” du moment pour augmenter leur chance de sélection. À l’inverse, un poste tourné vers la formation et la sensibiliation, et qui doive en plus montrer de réelles compétences techniques, aura moins de chance d’être pipé : généralement les profils qui s’intéressent aux impacts écologiques, sociaux, psychologiques, philosophiques du numérique sont avant tout des personnes issues de domaines du numérique (généralement ingénieurs ou informaticiens), avec un réel bagage technique (formation ou autoformation). En revanche, toutes les personnes sortant de ces disciplines dites “dures” ne sont pas forcémenent intéressées par les questions annexes qui en découlent.
Un tel poste ne pourra certainement convenir qu’à un profil ingénieur ou informaticien, si en tout cas on cherche à trouver quelqu’un avec de réelle compétences techniques. Malheureusement, tous les ingénieurs et informaticiens, de part leur formation, ne sont pas véritablement sensibles ou sensibilisés à ces questions écologiques et sociales.
Une attention particulière portée sur la formation et la sensibilisation
De mon point de vue, la personne sur ce poste pourrait avoir pour mission de monter et promouvoir un parcours “culture numérique” transdisciplinaires aux étudiantes dès l’entrée en licence. Ces cours auraient pour vocation d’élargir la connaissance des bases en numérique, et je pense par là à des bases conceptuelles (qu’est ce que le hardware, software, un OS, une donnée, un format, le réseau etc.) et non pas logicielle (apprendre à maitriser tel ou tel logiciel). Cette deuxième approche pourrait venir d’autres propositions de formation, et répondant aux besoins spécifiques de chaque domaine.
La volonté de faire de ces cours une approche générale et conceptuelle va à l’encontre de l’effervescence du monde de la recherche vis à vis de l’IA. De mon point de vue, la marche technique qu’implique de travailler avec de l’IA n’est pas compatible avec l’absence généralisée de connaissances basiques concernant le numérique. En d’autres termes, il est essentiel que le personnel de recherche aqcuiert les bases avant de passer au complexe. Le numérique n’est pas nouveau dans la recherche. Il date environ des années 40 avec l’arrivée des ordinateurs dans les universités, puis avec l’informatique personnelle des années 80, le web des années 2000, les réseaux sociaux des années 2010. L’IA est la dernière des petites des nouveautés, ce qui n’est également pas tout à fait vrai puisque les IA étaient déjà mises en avant dans les années 80 dans les jeux vidéos : ces derniers vantaient les mérites des compagnons de votre personnage, pilotés par IA, mais qui n’était guère concluant en terme d’"intelligence”… Aujourd’hui nous ne parlons donc pas d’IA, mais bien d’un certain type d’IA. Cette branche de l’IA est d’une complexité réelle et la manipuler demande de faire appel à de véritables compétences techniques. Or, tout comme on n’apprend pas à lire avec l’intégrale des Rougons Maquard, il en va de même pour l’apprentissage du numérique avec l’IA. Ajoutez à cela que les questions éthiques soulevées par le domaine qui reposent sur des horizons très divers : la raréfication des matériaux, l’artificialisation des sols, la surconsommation d’eau potable, l’esclavagisme perpétuel dans les extractions minières, la destruction directe des espèces et de la biodiversité, les émissions carbonne, la consommation énergétique, les politiques d’implantation des infrastructures numériques, et j’en passe. Le numérique, c’est bien bien plus qu’une simple affaire d’IA.
Avec de l’espoir !
Arrivée avec toutes ces questionnements en tête lors de la deuxième réunion, j’ai été très soulagée par la teneur qu’ont pris les discussions : la grande diversité des profils présents, le respect mutuel, l’écoute et l’attention que chacun a porté à la parole de l’autre ont été plus que libérateur. Deux xes s’en sont dégagés :
un premier qui est de pouvoir répondre à un vrai besoin de formation du personnel universitaire aux enjeux scientifiques actuels, c’est à dire de l’IA
un seconde qui est de mettre en place dans la durée tout un cycle de formation à une culture numérique bien plus large, dès la première année de licence, composé de cours, séminaires, et autres
Ce qui est certain c’est que l’IA vient mettre un énorme coup au personnel de recherche qui soudain, se retrouve exposé à des questions professionnelles existentielles : puisque l’IA est capable de me sortir des dissertations sans faute, très fortement acceptables d’un point de vu structurel et scientifique (pas tout le temps non plus hein), alors quel est le rôle de l’enseignant ?
Et nous arrivons peut-être petit à petit à une idée portée par certain membres de la communauté éducative : les professeur.e.s ne sont pas là pour enseigner un savoir, une idée “pure”, mais bien pour eveiller la réflexion, les capacités d’analyses, de donner un cadre propice au développement de ces compétences pour les étudiant.e.s tout comme les collègues.. L’IA nous pousse à prendre enfin avec sérieux ces questions de la technique dans la recherche, afin de pouvoir composer au mieux avec, et de nous poser la question cruciale sous-jacente : dans quel modèle de société souhaitons nous vivre ?