Aider à remplir les appels à projets en humanités numériques : un bien pour un mal ?

Auteurice : Elsa Van Kote

Temps de lecture : ~8 minutes


Après une discussion avec une collègue qui me racontait les problèmes qu’elle rencontrait dans un projet en humanités numériques, j’ai fini par me poser la question : devrions-nous, en tant qu’ingénieurs spécialisés dans le domaine, aider les chercheurs et chercheuses à remplir leurs appels à projet ?

Il n’est pas rare en effet de se retrouver confronté à cette situation : quelques jours avant la date butoire de dépôt d’appel à projet, nous sommes sollicités pour insérer les mots clefs correspondants aux humanités numériques, véritable or lexical afin de donner un maximum de chance à l’équipe de décrocher ledit financement.

Liste des mots clefs à insérer : IA, entrainement de modèles, open data, HTR/OCR, XML, base de données, data visualisation, big data, web developpement.

Le cas de ma collègue

L’histoire se déroule dans un laboratoire ayant décroché un financement ANR. Ces financements sont en général assez conséquents, pouvant se compter en centaines de milliers d’euros (personnellement j’ai apporté mon aide à un projet ANR financé à hauteur de 500 000 euros).

Le sujet en lui même est incroyable d’orignialité : il s’agit d’étudier le contexte d’imprimés allant du XIIIe au XVIIIe siècle, afin de pouvoir détecter s’il s’agit d’un texte destiné à être lu à l’oral ou non, à l’écrit ou non, pour une personne ou plusieurs, lors d’un colloque ou pour un salon plus intimiste… il s’agit alors d’entrainer des modèles de reconnaissance pour détecter des vocabulaires, des contextes de phrases, de grammaire, de composition de document qui laisserait entendre tel ou tel usage.

Pour rappel, un projet ANR dispose d’un financement de trois années. À l’issu de ces trois années (et même tout au long de ces trois années), l’équipe de rrecherche doit fournir des résultats d’études scientifiques. Dans les faits, les projets ont rarement trois années complètes devant eux. Généralement ils ne démarrent pas ex-nihilo au moment du décrochage du financement : ces projets sont déjà en cours depuis une année voir plus, mais les financements permettent une accélération du processus. Qui dit argent dit plus de moyens humains et plus de potentialités en terme de mise en place de séminaires et colloques, qui sont eux-mêmes essentiels aux avancées scientifiques. Un projet arrivé au bout de son financement ANR, c’est souvent un projet qui a démarré il y a bien plus de 3 ans, mais avec les moyens du bord.

Les problèmes avec ce genre de projet arrivent très vite et sont facilement détectables. Par exemple au moment de parler d’HTR (il s’agit de reconnaissance automatisée d’écriture manuscrite) l’on se rend compte que les porteurs de projets ne voient pas ce qu’est un modèle d’entrainement, ce que peut-être la différence entre l’interface graphique escriptorium et transkribus ou bien à quoi ressemble de la structuration de texte en XML, on peut commencer à s’inquiéter de plusieurs conséquences :

La preuve en est la réaction de la porteuse de cette ANR qui, au bout d’une année de dur labeur et après avoir été exposée à toute la technicité induite par son projet de recherche aurait soufflé : “Si j’avais su, je ne me serai pas lancée là dedans…”.

Si j’avais su…

Donc, où sont les problèmes ? Car plusieurs se cachent derrière cette histoire. Je supposerais une liste de plusieurs points, sûrement non exhaustive :

Je sais, ça n’est pas très glorieux dit comme ça. On a tous et toutes déjà fait ça, rempli un PDF ou un PGD (le Plan de Gestion de Données, essentiel pour savoir comment gérer les donnnées pendant tout leur cycle de vie) pour aider un collègue afin qu’elle ou il puisse décrocher son financement. Mais plus le temps passe, plus je me dis que c’est peut-être une fausse bonne idée. Que le mieux serait déjà peut-être dans un premier temps de former et sensibiliser nos collègues, avant de leur permettre de se lancer dans l’aventure.

Il s’agit donc de s’attaquer à chacun de ces problèmes.

Alors sachons !

En tant que jeune femme ingénieure d’étude en contrat précaire (ouiiiii!), il est difficile de s’attaquer à des déficiences institutionnelles comme celles-ci. Je ne suis pas en mesure de modifier la durée des financments ANR, ni d’avoir un quelconque poids face aux échellons plus haut que le mien.

En revanche, des propositions simples pourraient avoir un effet sur la plupart des problèmes exposés ci-dessous :

J’ai conscience que certaines de ces idées feront grincer des dents plus d’une personne. En revanche il est bon de rappeler, notamment concernant la dernière proposition, qu’il ne s’agit pas de prouver quelconque compétences en informatique. Mais bien de vérifier pour le jury le niveau de compréhension du contexte vers lequel le projet se dirige. Cela peut se faire par exemple avec des questions très simples : qu’est ce qu’une donnée ? une métadonnée ? la différence entre le html et la css ? pourquoi faut-il privilégier des logiciels open-source plutôt que des logiciels propriétaires ? comment décririez-vous l’instance nationale Huma-num ? dans quel milieu évolura votre équipe ? de quel accompagnement pourront bénéficier les ingénieurs du projet ? quelles formations numériques (et non pas logicielles) allez-vous proposer à votre équipe ?

Je suis bien évidement disposée à discuter de cette utopie avec qui le veut bien !